A room of one’s own – Virginia Woolf (1929)

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Ce court essai écrit par Virginia Woolf en 1929 reprend une série de conférences données à Cambridge, dans deux universités pour femmes.

Il part d’un constat aussi simple qu’affligeant: la présence des femmes dans des universités prestigieuses et célèbres comme Oxford ou Cambridge, est encore marginale mais surtout, mal perçue. Dix ans après l’accession des femmes au droit de vote en 1919, leur statut commence à peine à changer, et il le fait bien trop doucement.

Virginia Woolf retrace ainsi brièvement l’histoire littéraire britannique, en faisant tout particulièrement attention à la participation des femmes à cette histoire. En prenant Shakespeare comme maître étalon du génie, elle constate qu’aucune femme n’est jamais devenue son égale, et s’interroge. Pourquoi, tout d’abord, n’y a t-il jamais eu de célèbre femme écrivain du temps de Shakespeare? En inventant le personnage de Judith Shakespeare, soeur imaginaire du poète, elle imagine quel aurait été le destin de celle-ci, si elle avait eu le même talent que son frère. C’est simple, Judith n’a jamais écrit une ligne, car sa condition ne le lui permettait pas, et elle se suicide après être tombée enceinte. Réjouissant, n’est-ce pas?

Le 19ème siècle, avec des auteurs comme Jane Austen, George Eliot, ou les soeurs Brontë, voit enfin les femmes accéder au statut d’auteur. Mais dans quelle circonstances? Obligées d’écrire cachées, comme Jane Austen? Sous un nom d’emprunt masculin, comme George Eliot? Ou condamnées à cracher leur haine de cette société patriarcale, comme dans Jane Eyre de Charlotte Brontë?

Virginia Woolf se demande alors si les livres de ces auteurs auraient été différents, si les conditions dans lesquelles elles écrivaient avaient elles aussi été différentes. Dépendantes des hommes, financièrement, moralement, les femmes écrivains de cette époque n’ont qu’une liberté toute relative. Pas de revenus propres, pas d’endroit à elles où écrire sans avoir à penser à quoi que ce soit d’autre.

L’argument de Virginia Woolf est donc simple. A une époque où les femmes accèdent à une éducation supérieure, qui n’est dès lors plus uniquement le privilège des hommes, l’auteur enjoint les femmes à saisir toute l’importance des chances qui s’offrent à elles. Virginia Woolf, dont le père Leslie Stephen s’est toujours opposé à l’éducation des femmes, n’a elle jamais eu la chance d’étudier. Ainsi, elle émet le constat suivant: pour prendre leur destin en main, il suffit à ces femmes éduquées de bénéficier d’une chambre rien qu’à elles, où elles puissent s’isoler du reste du monde, et d’une rente de 500 livres par an, pour ne pas avoir à se soucier des questions matérielles.

Essai écrit à la manière d’une fiction, passant à travers le filtre d’un narrateur fictif, A Room of One’s Own n’en est pas moins un pamphlet passionné sur le statut de la femme en général, mais également sur la place de la femme dans les arts, une place qui leur reste à l’époque encore à saisir, et à investir pleinement.

(Titre français:  Une Chambre à Soi)

Essai lu dans le cadre du challenge Virginia Woolf chez Lou.

Real & Imagined Women – R.S.Rajan (1993)

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Je ne cesse d’être surprise par la capacité de certains ouvrages théoriques à sembler complètement arides, et à se révéler passionnants. Sous un titre plutôt vague, ce livre étudie une chose plutôt simple: l’écart immense qui existe entre les représentations culturelles et sociales de la femme indienne (qu’elles soient modernes ou anciennes), et la façon dont les femmes elles-mêmes s’emparent de ces représentations « indigènes » pour les subvertir et dessiner par le biais de l’art, leur propre identité.

L’auteur évoque alors des aspects malheureusement inséparables de la vie et de l’identité des femmes indiennes dans l’imaginaire collectif, et surtout dans la construction d’un imaginaire indien: la pratique du sati (mort -volontaire ou non- de l’épouse sur le bûcher funéraire de son époux), le viol, le tabou autour du nom du mari (une femme indienne n’a en effet pas le droit de prononcer le nom de son mari, car cela diminuerait la vie de celui-ci d’un jour à chaque fois), la représentation de la femme indienne « moderne » dans les médias, etc…

A ces croyances non pas populaires mais très répandues (l’épouse commettant le sati le ferait toujours de son plein gré et ne ressentirait aucune douleur; la femme violée se soumettrait volontairement à la répudiation…), Rajeswari Sunder Rajan oppose la réaction artistique de certaines femmes.

Si la subversion ne se fait jamais sur le mode de la confrontation directe (toute tentative de remettre en question des pratiques anciennes présentement glorifiées dans une volonté de contrer l’occidentalisation de l’orient est immédiatement déboulonnée, précisément parce qu’elle est assimilée à l’acte colonial d’interdire des pratiques considérées comme « barbares » par l’oppresseur britannique), elle est tout de même bien présente. Puisqu’il est impossible d’empêcher, même en fiction, le viol, le sati, le meurtre de la femme par son époux dans le but de se procurer une nouvelle dot, ces thèmes sont toujours évoqués. Cependant, et l’auteur l’illustre très bien, ils passent d’une place centrale à une place marginale, et deviennent l’événement traumatique qui va permettre à la femme de devenir un sujet capable de choisir les conséquences que ce drame aura dans sa vie, et non plus un objet passif, à la merci des hommes et des diktats culturels.

Ainsi, si la femme indienne ne se libère jamais totalement du poids de la culture, que sa voix est bien souvent prisonnière du domaine du « domestique », et qu’elle se représente elle-même dans une dialectique de lutte avec le masculin, le simple fait de prendre conscience de soi en tant que sujet doté d’une voix est, pour l’auteur, le premier pas vers une politique qui reste encore à définir.

(Pas de traduction française)

Decolonizing Feminisms – Laura E. Donaldson (1992)

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Si le jargon est impressionnant (j’ai dû m’y reprendre à deux fois), les idées, elles, sont pleines de bon sens. A une époque où le féminisme et ses idées battent leur plein, à l’époque -surtout- d’une sorte de « désir de globalisation » du féminisme, il paraît nécessaire de redéfinir le concept même de féminisme.

Peut-on en effet parler de « féminisme », au singulier? La conscience féministe d’une occidentale blanche de classe moyenne est-il le même que celui d’une femme du Tiers-Monde? La réponse s’impose d’elle-même…Ainsi, Laura E. Donaldson part du postulat que le mot « féminisme » ne peut que s’écrire au pluriel.

Car ce terme, bien qu’il vise à donner l’idée d’une condition féminine unique, dépend d’un grand nombre de facteurs. La classe sociale, bien sûr, mais aussi l’origine, l’âge, le genre, le contexte historique et social etc. Si l’on accepte ces conditions, toute lecture féministe d’une oeuvre devient un véritable champ de mines, où les mines seraient autant d’évidences et de conclusions univoques. Ainsi, selon Laura E. Donaldson, la question du féminisme  repose autant sur le genre que sur des questions raciales et culturelles, et toute forme d’univocité est impossible pour parler de la relation homme-femme, colon-colonisé, ou pour les assimiler entre elles.

Se basant sur des oeuvres aussi « coloniales » que « féministes », l’auteur revient sur nombre de théories canoniques de la critique littéraire féministe. Pour n’en mentionner qu’une, Laura E. Donaldson ré-examine les idées d’une grande théoricienne du post-colonialisme, j’ai nommé Gayatri Spivak. Cette dernière, dans son étude sur Jane Eyre (Three Women’s Texts and a Critique of Imperialism, 1985), assimile l’héroïne éponyme au colon blanc assujettissant la figure de la créole (et donc, de la subalterne) enfermée dans le grenier de Thornfield, Bertha Mason. Epouse de Rochester, sombre et dément double de Jane, sa mort seule garantira l’union des deux personnages « blancs et civilisés ». Selon la lecture de Spivak, Jane devient alors une représentante de l’Empire, et non plus une femme soumises aux codes victoriens du féminin. La critique va plus loin, en assimilant la mort de Bertha par le feu à la pratique indienne du sati, par laquelle une veuve va rejoindre son mari perdu, dans la mort, en s’immolant de son propre chef.

A ceci, Donaldson répond que la lecture de Spivak semble pour le moins culturellement orientée. De plus, il est aisé de faire de Jane, personnage crée au XIXème siècle, une figure de l’impérialisme britannique triomphant. Elle démontre que Jane, bien loin de partager le statut masculin que Spivak lui prête, est une figure de l’indécision, et non de l’auto-détermination. Censée absorber les codes du féminin, Jane n’a de cesse de les rejeter tout en ne parvenant jamais à se libérer du regard phallique des hommes qui l’entourent. Donaldson conclut en arguant qu’à la fin du roman, ce n’est pas l’accession de Jane à un statut « d’égale » de Rochester qui permet leur union, mais bel et bien la diminution physique de Rochester (sa cécité, donc son incapacité à réifier Jane par le biais du regard), qui rend son mariage avec Jane possible.

Ainsi, Laura Donalson examine plusieurs écueils rencontrés par le féminisme: sa lecture univoque des oeuvres féministes ou coloniales, l’importance ou la futilité de prendre en compte le contexte social et historique d’une oeuvre, les adaptations filmiques d’oeuvres, les lectures déconstructivistes ou marxistes, etc…

C’est certes très spécialisé, mais il est facile d’y glaner quelques informations intéressantes sur les oeuvres que l’on aime sans pour autant se plonger dans les grands discours théoriques – et les analyses littéraires ou filmiques de l’auteur sont vraiment très fines et stimulantes!

(Pas de version française à ma connaissance…)