Once Were Warriors – Alan Duff (1990)

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Décidément, la littérature maorie me séduit de plus en plus. Après ma découverte de The Whale Rider au tout début de ce blog, et de The Bone People il y a quelques mois, j’ai acheté (oui, je sais, c’est mal, d’autant que le poids de ma valise m’inquiète de plus en plus! Tant pis je me scotcherai des livres autour du ventre…) un autre roman canonique de la littérature maorie, à savoir Once Were Warriors, de Alan Duff. J’avais croisé ce roman il y a au moins deux ans maintenant, lors de la très belle exposition sur les maoris qui avait eu lieu au musée du Quai Branly à Paris, et l’avais noté dans un coin de ma tête.

Ce roman a donné lieu à un film, tout aussi célèbre, que je n’ai pas encore vu mais qui me tente beaucoup (et qui pour une fois, existe en français sous le nom L’âme des Guerriers, tout comme le livre). Quelle claque! Aucune « intrigue », juste le quotidien d’une banlieue pauvre où existent (je n’ose même pas dire « vivent ») des maoris, dont une famille, celle de Jake et Beth Heke. Ils ont  six enfants, Beth les « élève », Jake a quitté son emploi le jour où il a découvert qu’il gagnerait autant d’argent avec les aides de l’état. 250 dollars par semaine qu’il partage avec sa femme, elle pour faire tourner la maison et nourrir sa progéniture, lui pour boire au pub toute la journée.

Jake est aussi connu pour ses muscles et sa propension à la violence. Et d’ailleurs, ceux qui s’y frottent font plus que s’y piquer, il les réduit en bouillie. Car Jake bout, intérieurement, d’une rage aussi sourde qu’incompréhensible, tout comme ses semblables d’ailleurs. L’échec professionnel, la frustration de n’être que des bons à rien, la pauvreté, le fait d’être ostracisés par les blancs, la misère, la drogue, la mort. Jake a des enfants dont il ne s’occupe guère, ce n’est pas le rôle d’un homme. Il squatte lamentablement la cuisine avec des amis, à boire et à fumer, cogne Beth dès qu’il est contrarié. Et Beth, pendant ce temps, tente de survivre, le visage ravagé, coincée entre la résignation et l’envie d’autre chose.

Car elle semble être la seule capable de se souvenir de ce que signifie réellement être maori, être un guerrier. Elle réfléchit, questionne son passé, leur passé à tous, et essaye de comprendre comment de fiers individus bourrés d’honneur, son peuple est devenu un peuple de ratés, incapable de donner de l’amour à ses enfants, qui voit ses jeunes se perdre dans les gangs et la drogue, pendant que les hommes et les femmes noient leur malaise dans l’alcool, la violence et la médiocrité. La réalité est absolument tragique, d’ailleurs même Beth peine à échapper à cette forme de déterminisme. Elle aime ses enfants, et leur montre. Mais l’un d’entre eux est en maison de redressement, l’autre rêve de rejoindre le gang des Brown Fists qui terrifie le quartier.

Et il y a Grace, 14 ans, qui rêve d’une vie meilleure, comme celle de ses voisins blancs et riches, qu’elle observe depuis le jardin dans leurs moments les plus anodins. La femme prépare à manger, la fille joue du piano, le couple s’embrasse, semble heureux. Un beau jour, Grace se fait violer. Pétrifiée, elle refuse d’ouvrir les yeux, fait la morte. Elle ne sait pas s’il s’agit de son père, ou d’un raté de ses amis. Et les viols continuent, sans qu’elle n’en parle jamais. Parce qu’on ne parle pas de ces choses là, quand on est maori et que de toute façon, personne n’est là pour écouter.

Lorsque le corps de Grace est retrouvé pendu dans le jardin des voisins blancs, Beth comprend. Elle comprend que son propre peuple est en train de se donner la mort sans broncher. Qu’ils se maltraitent, se violent eux-mêmes en s’enlisant dans cette existence répugnante et méprisable. Elle comprend aussi que ce sont les enfants, qui pourront tout changer. Qu’ils faut qu’ils sachent qui ils sont, d’où ils viennent, qu’ils peuvent être fiers d’être maoris, d’être des guerriers. Elle décide de les éduquer, de les nourrir, de les aimer à la place de ceux qui devraient normalement le faire, afin de redonner à son peuple toute sa superbe, son honneur, et surtout, un avenir.

Ce roman était bouleversant. C’est d’ailleurs curieux que ma lecture ait coïncidé avec ce superbe cadeau que l’on m’a fait: un toki, le collier que vous pouvez voir en photo. Il s’agit d’un bijou qui n’est porté normalement que par les chefs, car il symbolise le pouvoir, la sagesse et l’autorité. En recevoir un a été particulièrement émouvant, et j’en suis très fière. J-10 avant le départ de Nouvelle-Zélande, je prépare mes adieux à cette terre fabuleuse…

Et très vite, des photos de l’Australie!

(Titre français: L’âme des guerriers)

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10 réflexions sur “Once Were Warriors – Alan Duff (1990)

  1. J’ai lu ce titre l’été dernier …. Un regard sans pitié et une langue superbe ( mais je l’ai lu en français ) pour dire une violence, celle des hommes et des lieux, sans complaisance aucune, et il semblerait que c’est justement ce parti pris qui a choqué les lecteurs au moment de sa sortie, la « mode » étant à la renaissance de la culture Maori alors qu’ici, à part à la fin, on assiste plutôt à son enterrement, sans fleurs, ni couronnes …

    • Et je trouve que c’est essentiel d’en parler aussi de cette façon, parce que de nos jours, les Maoris, c’est aussi beaucoup ce que décrit Alan Duff. Pour l’avoir vu, être maori aujourd’hui, c’est beaucoup de pauvreté et un avenir très incertain…

  2. Je te rejoins, je n’ai rien vu, en ce qui me concerne, évidemment je me disais bien en écrivant mon commentaire que toi, oui …. je ne voulais pas énoncer de contre vérité dans mon ignorance, mais le livre de Duff en refusant l’idéalisation , fait plus mouche qu’une peinture romantique. Cette démarche m’a fait penser à autre roman, sud africain, cette fois, « Triomph » de Marlène Van Niekerk qui décrit les « paumés » racistes et immondes, mais blancs de Johannesburg, l’écriture a le même côté monologue rageur, mais ne sauve rien, par contre. A « Etonnants voyageurs » ( un festival du livre qui se tient à Saint Malo), l’année dernière, Alain Duff semblait amer de l’accueil fait à son roman en Nouvelle Zélande et a beaucoup évoqué son engagement auprès des jeunes maoris pour promouvoir la lecture. Tu en as entendu parler sur place, (ou presque) ?

    • Ah oui oui! Je me suis peut-être mal exprimée mais j’étais 100% d’accord avec ton commentaire! Aucune indulgence dans ce roman, j’imagine bien que certains ont dû grincer des dents à sa sortie (d’autant que Duff lui même est un sacré lascar si j’ai bien compris – arrestations, incarcérations etc), et c’est précisément ce qui en fait un roman incroyable. Witi Ihimaera lui, est plutôt dans l’idéalisation des maoris, ce qui est bien aussi, ce ne sont pas QUE des ratés bien entendu, mais globalement, les maoris que l’on voit, c’est soit à faire la manche dans la rue, soit obèses et assis autour de 2kg de fish&chips, avec 8 enfants mal habillés et en passe de devenir obèses eux aussi.
      Je ne savais rien du sentiment de Duff à la sortie de son roman mais cela ne m’étonne guère. Finalement, l’arrivée des blancs reste relativement récente en NZ et je crois que les blessures, côté maori, sont bien loin d »être pansées. Ils commencent tout juste (enfin, depuis quelques petits dizaines d’années) à prendre en main leur destin politique, et je pense que littérairement parlant, ils n’en sont pas encore à pouvoir faire face à tous leurs défauts. Disons qu’il y a une grande réticence à se faire « attaquer » davantage (et on peut comprendre), surtout de la part d’un des leurs.
      Bref, c’est un sujet (et un roman!) absolument passionnants et ça me fait plaisir de pouvoir en discuter avec quelqu’un qui l’a également lu! :)Et je note l’ouvrage sud-africain dont tu me parles, il semble très intéressant.

    • Je vais militer pour la reconnaissance de la littérature maorie, elle est fabuleuse!! C’est en effet « un peu » triste, mais ce n’est qu’un au revoir, et puis plein de choses m’attendent aussi en France, ça rend le retour moins difficile!

  3. J’attends donc tes conseils pour partir à la découverte de la littérature maorie, c’est quelque chose qui m’interesse beaucoup … et d’en France, pas facile de trouver des idées. J’ai « Un père pour mes rêves » d’A. Duff sur mes étagères pour cet été en attendant de découvrir d’autres auteurs. J’ai lu aussi une auteure, Fiona Kidman, qui est néo-zélandaise, mais pas maorie ! A bientôt ( et bon retour …)

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